Le dernier Lapon, roman complètement nordique qui nous immerge dans la culture sami, a été écrit… par un Français ! C’est l’occasion d’avoir un aperçu de de la nuit polaire glaciale mais envoûtante et de suivre une enquête passionnante.
Les paysages désertiques de la Laponie pendant la nuit polaire
Résumé
Ce polar époustouflant nous emmène au cœur de la Laponie centrale. La nuit polaire s’achève à peine, un tambour sami est volé au centre culturel de Kautokeino, puis un éleveur de rennes est assassiné. L’inspecteur Klemet et sa partenaire Nina vont rencontrer des éleveurs de rennes bourrus, des protestants extrémistes, des paysans louches et un géologue véreux. Ils doivent fouiller les archives depuis l’expédition de Paul-Émile Victor, démêler les conflits de territoires entre éleveurs et déchiffrer l’inquiétant message que contient ce tambour.
Le dernier Lapon est paru en septembre 2012 aux éditions Métailié.
L’auteur – Olivier Truc
Cela fait presque 20 ans qu’Olivier Truc habite à Stockholm. Depuis 2005 il est correspondant du Monde. Il a déjà écrit deux livres, L’Imposteur (2006) et Dykaren som exploderade (réalisé avec Christian Catomeris, 2008) et a réalisé plusieurs documentaires dont Police des rennes (2007). Olivier Truc est aujourd’hui un spécialiste des pays scandinaves et baltes, avec entre autres un intérêt très prononcé pour les Samis et leur culture. Pourtant avant de venir en Suède il n’avait pas d’attirance pour les pays nordiques (au contraire il souhaitait partir au Liban), ils représentaient « un trou noir sur une carte du monde, avec Stockholm au milieu du Danemark ». Du coup le journaliste s’est intéressé à tout, sans préjugés. Le dernier Lapon est le premier livre de fiction d’Olivier Truc.
Entretien avec Olivier Truc qui nous parle des coulisses de son roman, Le dernier Lapon.
Quel a été le déclic pour Le dernier Lapon ? Est-ce l’engouement français pour les polars nordiques qui t’as poussé à l’écrire ?
OT : J’avais envie d’écrire, mais de faire autre chose que du journalisme, car c’est mon métier depuis 25 ans. J’avais envie de me diversifier et de tenter l’écriture. Mes carnets de reportage sont une source d’inspiration pour des projets littéraires, avec des personnages, des lieux et des histoires qui attendent d’être libérés depuis longtemps. Mais l’intérêt français pour la littérature nordique n’a rien à voir avec mon livre. C’était une envie, j’avais la matière, mais ce n’était pas gagné que cette histoire de tambour intéresse, c’était un pari. Je souhaitais me retrouver dans une région par l’écriture.
Est-ce que l’intrigue est inspirée d’une histoire vraie ? Car on trouve de nombreux faits réels dans ton livre, comme l’exploration de Paul-Émile Victor, toute la culture des Samis et leur lutte pour protéger leurs traditions, le fait de devoir rapporter les oreilles des rennes tués par des animaux sauvages pour toucher une indemnité etc.
OT : Mon roman est très documenté, la réalité peut être un peu tordue, mais pour la culture Sami je n’ai pas pris de libertés. Ce sont soit des choses vécues, soit des choses lues ou bien vues lors d’expositions. Je possède une grosse documentation sur les Samis, j’ai fait des reportages sur la Laponie. Bien sûr certaines choses sont romancées, adaptées à l’intrigue. Par exemple, la police des rennes n’existe en réalité qu’en Norvège. Dans mon livre j’en ai fait une police transnationale. Mais cette liberté prise reste plausible car on trouve entre les pays nordiques une coopération approfondie. L’institut géologique de Malå existe, j’ai passé une journée complète à le visiter. Par contre il est devenu l’institut nordique, alors qu’en fait c’est un centre suédois. L’aérodrome de Kautokeino a été rajouté. Paul-Émile Victor est parti de Paris en voiture avec les frères Latarjet pour explorer la Laponie en 1939. J’ai extrapolé à partir de cette vraie expédition, j’ai rajouté des personnages. Les 71 tambours existent, ils ont été recensés par un chercheur suédois, Ernst Manker. Aucun n’a été rendu aux Lapons, les tambours sont dans des musées ou des collections privées. Le débat sur leur retour en Laponie existe depuis de nombreuses années.
Les mystérieuses aurores boréales (Laponie suédoise) – photo Sergio Parinaud (sergioprd.fr)
Pourquoi cet intérêt pour les Samis ? Et cette fameuse police des rennes, qu’est-ce que c’est ?
OT : Quand je suis arrivé en Suède je m’intéressais à tout, car tout était nouveau. Les Lapons sont un sujet qui m’a intrigué et que je suis depuis 1995. Lors des premières élections au Sametinget, le parlement Sami, un bureau de vote était installé au Stadshuset (l’hôtel de ville de Stockholm) et je suis allé interviewer des gens. J’ai rencontré une jeune étudiante d’une famille d’éleveurs de rennes qui votait à cause des conflits pour les pâturages. J’ai été invité dans sa famille en Laponie, c’était mon premier contact avec les Lapons. C’est une autre réalité que le modèle suédois, sympa pour tout le monde. C’était une porte d’entrée sur les dessous de ce modèle.
Par la suite j’ai découvert l’existence de la police des rennes, sur laquelle j’ai réalisé un reportage télévisé Police des rennes. Pendant un mois et demi j’ai suivi les policiers en scooter des neiges. Il y a sept patrouilles de deux policiers plus le chef. Ils font pas mal de prévention. Ils sont parfois pris pour des rigolos mais ils défendent les Samis et ont une bonne connaissance du milieu.
Le centre de l’intrigue se situe à Kautokeino en Norvège, pourquoi ce choix ?
OT : Kautokeino est une ville que je connais, qui me parle beaucoup et qui est bien placée, près des frontières. C’est une ville de Laponie traditionnelle, fascinante, l’une des rares villes avec une majorité de Samis, ce qui lui donne une forte intensité culturelle. Beaucoup d’habitants y vivent de l’élevage de rennes. On peut voir Le Dernier Lapon comme une introduction à la culture sami. Le centre Juhls à Kautokeino a été ouvert en réalité par Frank et Regine Juhls, des gens fascinants. D’un point de vue architectural le bâtiment est complètement loufoque, c’est un endroit étonnant avec une présentation de l’art sami mais aussi une salle sur l’Asie centrale ! J’ai été invité à Kautokeino lors du festival du film sami, car mon documentaire Police des rennes y a été diffusé. J’ai passé du temps à Kautokeino, entre autres pour suivre cette patrouille des rennes. J’y retourne aussi pour la suite du Dernier Lapon, car j’aime m’imprégner par le terrain, en plus de la lecture.
La Laponie : on a l’impression d’un endroit vraiment à part, coupé du monde, dans un autre siècle, qu’as-tu ressenti ?
OT : On se sent ailleurs. Pour y arriver il faut traverser la toundra, des endroits désertiques. On arrive « au bout du bout du bout ». C’est un endroit reculé, la nature est immense, parfois intouchée : ce sont les derniers espaces sauvages d’Europe. À Kautokeino il fait très froid l’hiver, parfois -35 ou -40 °C, alors que c’est à 100 km de la côte. Côté climatique on se prend une claque. Kautokeino c’est 3000 habitants sur presque 10 000 km2 (la taille du Liban). Les gens font parfois 50 km pour aller acheter des cigarettes, le rapport au temps est différent. Certains Samis sont en costume traditionnel mais ils ont des scooters des neiges, des téléphones mobiles, la radio, internet. Ils sont très modernes et subissent la spirale consommatrice.
Y a-t-il encore des Samis qui vivent comme Aslak ?
OT : Aslak existe dans l’imaginaire d’un certain nombre de Samis. C’est la mécanisation qui les a entraîné sur la pente glissante. Seulement 10% des Samis sont éleveurs de rennes. Ils font des essais avec des chevaux, quelques uns se demandent comment revenir à un élevage moins « sur-mécanisé », plus traditionnel. Ils ont une nostalgie pour cette époque. En même temps les scooters des neiges sont très pratiques. Les éleveurs qui ont 60 ans ont commencé à skis, il fallait des journées entières pour parcourir ce qu’on fait en quelques minutes à scooter.
Tu as choisi un Français, Racagnal, un explorateur véreux qui s’intéresse trop aux jeunes filles, pour le rôle d’un des méchants, pourquoi ?
OT : Je me suis renseigné sur la géologie par des livres. Mais j’ai aussi rencontré un géologue français qui a vécu plusieurs années en Laponie. Il est devenu la base de Racagnal : pour ses habitudes alimentaires, les outils qu’il utilise, mais pas du tout pour le caractère !
As-tu d’autres projets de roman ?
OT : La suite du Dernier Lapon ! Ce sera un roman noir, entre Kautokeino et Hammerfest sur la côte norvégienne, on y retrouvera Klemet et Nina. Il n’y a pas de date prévue pour sa sortie.
28/09/2014
Nous venons de faire un périple en Laponie, la destination primaire n’était pas Kautokeino et pourtant nous sommes allés au musée SAMI de Kautokeino suite à la lecture de votre livre le dernier Lapon, immergés dans cette ville, la frontière entre la fiction et la réalité était très facile à franchir. Merci pour ce beau roman qui nous apporte des éléments enrichissants sur le peuple SAMI que nous découvrons un peu plus à chaque périple.
Pascal et Bernadette
Je reviens de Norvège après un passage rapide par la Finlande et par Stockholm. Nous avons été émerveillés par les paysages, surpris par le soleil de minuit… Nous avons approché quelques rennes ainsi que la culture Sami. « Le dernier lapon » est absolument fascinant et m’a permis de poursuivre ce fabuleux voyage. Merci à Olivier Truc et à bientôt pour la suite…
Merci à Olivier Truc pour son excellent roman sur une région et une culture si peu connues et pourtant européennes. Cela me donne envie d aller voir ce grand nord ainsi que la richesse de ses musées.
Cela fait longtemps que je n’ai lu un roman aussi passionnant!
Dépaysant par le lieu, instructif sur la culture Sami, suspense de l’intrigue, tout est parfait … vivement la suite !!!
Merci à Olivier Truc de nous faire connaitre ces Samis, leur pays et leur coutumes.
Cordialement
Jean